"Assister le dirigeant de PME" "Faire grandir l'entreprise""










 

 

ARCHIVES
des chroniques de René G. Thirion parues en 2002/2003
dans le Moniteur Francophone de la Boulangerie-Pâtisserie  
                      
Etre différent pour mieux séduire le client
L'union doit devenir sacrée pour conserver un marché
Métier et corporatisme
Artisans sans marketing ?
Les pâtissiers
L'homme de qualité fait le bon boulanger

Le marketing est-il nécessaire aux artisans boulangers ?
La mort de l'artisan
Le bruit du tiroir-caisse
L'associé qui vous manque
Voulez-vous me donner le menu SVP ?
La boulangerie, simple point de vente ?
Une nouvelle année et de nouvelles résolutions
Le pain perdu
La passion du métier
 


ETRE DIFFÉRENT POUR MIEUX SÉDUIRE LE CLIENT !

Il y a quelques temps, une de mes connaissances, cuisinier de son état et sûr de la bonne connaissance de son métier, avait repris un restaurant. Bien vite, il se rendit compte que la direction d'un commerce était fort éloignée de ce qu'il avait appris derrière ses fourneaux. Aussi, avait-il pris pour habitude de faire le tour de ses concurrents, d'observer leur carte, leurs prix et les menus spéciaux qu'ils proposaient.
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Rentré chez lui, il s'empressait de modifier sa carte tant dans son contenu que dans ses prix. Son raisonnement lui semblait excellent: "Si mes concurrents ont du monde et arrivent à gagner leur vie", se disait-il, " les copier ne peut que me mettre dans la même position".

Il se réconfortait de la même manière les jours où il avait peu de monde dans la salle. Si ses collègues étaient dans le même cas, il se rassurait se disant que le malaise était général et que par conséquent, il ne devait pas s'inquiéter outre mesure. Par contre, si la salle de ses concurrents était bondée, il s'empressait de consulter à nouveau leurs cartes pour trouver ce qu'ils avaient pu offrir et que lui n'offrait pas, car là se trouvait certainement la cause de leur succès.

Cet ami a, hélas! mis la clé sous le paillasson de son établissement et a repris le chemin de la cuisine d'un établissement concurrent où il fait merveille. Il se console en se disant qu'il avait manqué de chance puisqu'il avait fait la même chose que les autres. S'il n'en avait tiré aucun bénéfice, cela devait être exclusivement dû au hasard.

Ce qu'il n'a pas compris, c'est qu'il n'y avait aucune raison pour que les clients de ses collègues restaurateurs changent leurs habitudes et poussent la porte d'un établissement qu'ils ne connaissaient pas et qui ne leur offrait rien de neuf ou de différent.

Beaucoup de commerçants ont la même vision que celle de mon malheureux ami.
En réalité, les principes marketing exige de pratiquer une stratégie inverse à la simple copie des concurrents. Etre différent des autres, c'est ce que l'on appelle la stratégie de différenciation.

Le principe est simple à appliquer. Il suffit d'observer ce que font les concurrents, d' établir une liste de ce qui les caractérisent (rappelez-vous les 4P du marketing mix dont j'ai souvent parlé dans ces colonnes). Comment est leur produit, à quel prix le vendent-ils, comment sont-ils situés dans la zone de chalandise et comment font-ils savoir qu'ils existent ?

Ensuite, pour chaque caractéristique trouvée, vous mettrez la vôtre en comparaison et vous examinerez soigneusement s'il est possible de vous différencier.
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Enfin, pour toutes les différences que vous pourrez créer, devra se poser la question: quelles sont celles qui vont aider les clients des mes concurrents à être convaincus qu'ils ont de bonnes raisons de vous choisir.

Bien sûr, l' idéal serait vendre le meilleur produit du monde au prix le plus bas, livré gratuitement et rapidement à domicile, et que tous les clients potentiels du quartier en soient informés.

Cela n'est pas possible, aussi la différenciation portera principalement sur les caractéristiques qui intéressent le client que vous avez choisi. On ne peut pas plaire à tout le monde !

Précisons que plus les différences seront fortes, plus elles s'adresseront à une cible précise, c'est-à-dire une clientèle qui sera satisfaite de votre offre et deviendra fidèle à cause de celle-ci mais en conséquence, elles risquent de repousser les clients qui ne les approuvent pas.

Prenons un exemple simple. Un pâtissier crée une pièce montée spéciale pour les mariages. Elle est extraordinaire en qualité et en beauté. Son prix est élevé mais dans toute la région, il est admis qu'il est le seul à fournir un gâteau semblable et que la mode impose de le commander absolument chez lui. Sa renommée va créer deux sortes d'acheteurs.

Ceux qui voudront la qualité quel que soit le prix et ceux qui ne peuvent mettre ce prix, même si la qualité les tente. Les premiers seront probablement des clients pour d'autres gâteaux du même pâtissier, les autres ne mettront jamais un pied chez lui même pour acheter une gaufre.

De plus, l'on peut considérer que sa clientèle se constituera sur base des gens qui se marient et que les autres pourraient estimer qu'il n'est pas un fournisseur pour la vie quotidienne.

Si la différenciation est indispensable pour la réussite commerciale d'un commerçant, elle peut s'avérer dangereuse si elle crée des conflits avec la clientèle potentielle du magasin. Tenter de vendre à prix élevé à une clientèle à faible pouvoir d'achat est aussi irréaliste que de d'essayer de vendre des produits à bon marché à des clients amateurs de luxe.

Il est important de tenir compte de cet avertissement. Demandez-vous comment faire pour être différent des autres ? Quelle différence va plaire à celui vous désirez comme client ? Comment lui faire remarquer que vous avez l'offre la mieux adaptée à son désir ?

N'envisagez pas des révolutions qui demandent toujours des efforts énormes de temps et d'argent, mais pratiquez une évolution lente et régulière qui fera que dans 6 mois ou un an, la différence existera, qu'elle sera bien acceptée et même recherchée par vos clients. Elle deviendra le gage d'un avenir prometteur.

Une dernière mise en garde! Rappelez-vous mon ami restaurateur. Il a beaucoup d'émules, aussi surveillez constamment que votre différence subsiste car vous pourriez avoir la surprise, après un certain temps, de constater qu'elle a disparu car l'on vous aurait copié d'une manière parfaite et tout sera alors à recommencer pour conserver une place de choix sur le marché que vous avez choisi.

décembre 2003
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LE BRUIT DU TIROIR-CAISSE

C'était sous ce titre évocateur que je parlais de l'utilité de l'application des règles marketing dans l'exercice du commerce sous ses formes même les plus élémentaires. Un excellent artisan n'est qu'un candidat à la faillite s'il n'est pas à même de communiquer avec ses clients et de répondre à leurs attentes. Du plus petit au plus grand des magasins, il est un bruit agréable à entendre, c'est le bruit du tiroir-caisse et ce bruit est indispensable à la survie du commerçant.
Que ce soit la sonnerie d'une ancienne caisse enregistreuse ou le bip d'un équipement informatique ultramoderne, c'est le signal de la réalisation d'un fait très important pour l'entreprise: l'échange d'un produit contre une somme d'argent représentant son prix de revient, accompagné d'un bénéfice pour le fournisseur.
La définition de ce fait est également la définition du marketing enseigné dans les écoles de commerce.
C'est la satisfaction des besoins et désirs au moyen de l'échange ou encore, plus complètement, C'est un processus de planification et d'exécution comprenant la conception, le prix, la promotion et la distribution d'idées, de produits ou de services dans le but de créer un échange qui satisfait à la fois, les objectifs du client et du fournisseur.

La définition du marketing donne la largeur et l'ampleur de sa mission, sa volonté de servir le consommateur en son opposition avec la vente, qui n'est souvent qu'une tentative du viol du portefeuille du client.

Théodor Levitt, père créateur du marketing, signalait déjà en 1975 que vente et marketing sont tristement confondus par le public et les hommes d'affaires. " La vente se concentre sur les besoins du vendeur ; le marketing sur ceux de l'acheteur. La vente se préoccupe de convertir le produit du vendeur en argent liquide, le marketing, de satisfaire les désirs du client à l'aide du produit et de tout ce qui est associé à sa création, sa distribution et finalement sa consommation " disait-il dans son ouvrage, Le Marketing à Courte Vue.

Une firme est avant tout " acheteuse de clients pour ses produits " plutôt que " vendeuse de ses produits pour des clients ", la dernière proposition étant forcément limitée par le nombre de ceux qui adhèrent au produit proposé, alors que la première n'a comme seule limite que la connaissance des envies du client et l'adaptabilité de la production.

Pour un artisan, vendre son activité entraîne un certain nombre d'obligations. Il doit:
* offrir le produit ou le service que le client attend
* établir le prix que ce client est disposé à mettre pour l'acquérir
* mettre le produit à sa disposition là où il le trouvera aisément
* et enfin … non seulement lui communiquer les informations nécessaires à l'achat, mais être également prêt à recevoir et à accepter les remarques que le consommateur fait et pour adapter son offre. Un bon artisan est quelqu'un dont le client se sent très proche et non quelqu'un qu'il ne comprend vraiment pas.

Que mes lecteurs me pardonnent si ce qui va suivre est un peu technique mais c'est l'essentiel de la philosophie du marketing que je veux leur communiquer.
Les quatre points repris ci-dessus correspondent exactement aux " 4C " du marketing-mix lancé par Kotler en 1993 totalement orienté vers le client. Ils remplaçaient sa théorie précédente des " 4P " basée, elle, sur le mix de l'industriel.

Cette évolution est normale lorsque l'on sait qu'actuellement, et probablement pour longtemps encore, l'offre dépasse largement la demande, que la concurrence est en développement exponentiel et que ce sont les caractéristiques perceptuelles qui influencent de plus en plus le client actuel.
Celui-ci trône au sommet de la fameuse pyramide des besoins de Maslow, dans le désir de satisfaire ses besoins d'appartenance et d'affection, d'avoir des réponses à ses besoins d'estime et de reconnaissance, et enfin, trouver l'équilibre indispensable dans le besoin d'accomplissement de sa personnalité.

L'artisan ne peut donc séduire valablement le consommateur qu'en mettant en pratique les fameux " 4C ".
* Consumer value (quelle est la valeur affective du produit aux yeux du client ?)
* Cost (quelle partie de son pouvoir d'achat est-il prêt à dépenser pour l'obtenir ?)
* Convenience (Le trouvera-t-il à sa disposition là ou il a envie de le posséder ?)
* Communication ( et là, elle doit être bidirectionnelle : connaître au mieux les motivations entraînant l'achat et faire savoir qu'elle y répond le mieux possible).

L'entreprise ne peut donc acquérir et conserver sa clientèle que par :
* une bonne connaissance de ses clients et de ses attentes psychiques et physiques
* le choix d'une cible déterminée de clients, adaptée au développement de son activité
* la mise en pratique des "4C " pour coller à la demande à cette cible
* la création d'une stratégie d'attaque vers le consommateur visé
* le développement d'une unité de l'image donnée tant dans la vente que dans la publicité et les relations publiques (communication en dehors du magasin)
* Un contrôle constant de l'évolution des désirs et besoins des clients visés.
* Et …un réajustement rapide aux changements constatés dans leurs attentes

Livrer un produit que le consommateur désire et dont il a besoin contre un juste prix, englobant le coût du produit + les frais de commercialisation + un bénéfice, c'est ce que tout commerçant cherche à faire. Il fait donc du marketing, consciemment ou pas, bien ou mal, réussi ou non. Le marketing est donc indispensable à l'artisan car il est à la fois, producteur et vendeur-détaillant.

L'artisan peut donc, facilement par sa souplesse et sa rapidité de réaction) influer sur tout le cycle de commercialisation depuis la création du produit dans son esprit et sa fabrication dans l'atelier jusqu'à la livraison au consommateur final par le biais de points de vente ou de tournées de livraison.
Ma conclusion de ce qui précède est simple, l'artisan a toute les chances de réussir s'il parvient à réunir les qualités suivantes dans sa personnalité :

* Etre orgueilleux de son pouvoir de créer mais être modeste au point de remettre en cause ses certitudes
* Etre commerçant dans l'âme mais être désintéressé au point de ne pas vendre " n'importe quoi "
* Aimer son entreprise mais porter le même attachement à ses clients
* Etre différent des autres mais savoir les comprendre et les apprécier
* et enfin …. Adorer la vrai vie, celle dans laquelle le professionnel rejoint le privé, pour donner ce qu'il y a de plus valable au monde, la joie d'exister !

octobre 2003
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L'UNION DOIT DEVENIR SACRÉE POUR CONSERVER UN MARCHÉ

" Par l'union, les petits établissements s'accroissent; par la discorde, les plus grands se renversent " a écrit Senèque, auteur et philosophe latin du 1er siècle.

" Etre indépendant, c'est dépendre des autres ", déclarait Edouard Leclercq dans une interview donnée à la radio (BMF). Et d'expliquer qu'être seul face aux grands groupes signifiait l'écrasement rapide faute de moyens, alors que l'union des petits leur donne une puissance importante ( Son groupe formé d'indépendants réunis est le deuxième de France).

S'unir rend plus fort et je ne vais pas en convaincre les membres de la Fédération Francophone de la Boulangerie - pâtisserie - Confiserie - Chocolaterie - Glacerie. Ils savent qu'une association corporatiste peut défendre une profession contre les attaques extérieures et donne à chacun, en cas de besoin, la force résultante de l'addition de tous.

L'histoire, avec ces grands combats des corps et métiers contre les pouvoirs politiques excessifs a prouvé la puissance des corporations. Mais à notre époque, leur utilité semble moins évidente à beaucoup d'hommes de métier. La démocratie avec le consensus qui en découle, empêche révoltes et jacqueries diverses. Même les paysans, victimes d'accords européens et mondiaux, et bien qu'ils soient reconnus indispensables pour la nourriture de l'homme et l'entretien d'une nature qui chaque jour rétrécit, n'arrivent plus à survivre et les fermes sont abandonnées les unes après les autres. En face d'eux se dresse la dictature d'un mondialisme triomphant qui les transformera, petit à petit, en valets de ferme oeuvrant pour le compte des grands groupes agro-alimentaires.

C'est désormais les lois qui régissent notre société et non la volonté naturelle de survivre d'un groupe social. C'est le régime idéal à condition que le plus faible soit protégé.

Pourtant le corporatisme, en dehors d'un rôle de lobbying nécessaire, a encore de beaux jours devant lui. S'il ne s'insurge plus contre la politique, le combat contre la finance est en route, dans une époque où n'importe qui, pour autant qu'il ait de l'argent, peut s'installer et concurrencer durement l'homme de métier.

Le manque de connaissances? Peu importe, les moyens sont là pour engager des spécialistes.

L'accès à la profession? On nommera responsable un employé qui peut le recevoir et permettra l'ouverture d'un point de vente. Et cela, c'est seulement de la concurrence à la petite échelle !

En effet, par le biais de regroupements financiers, c'est maintenant des chaînes de distribution qui vont s'opposer au petit commerçant et l'asphyxier lentement, inexorablement : David face à Goliath!

Pourtant, la défense contre cette menace ne se trouve que dans la fameuse union citée en début de cette chronique. Les artisans, si faibles quand ils sont seuls, se révèlent des adversaires coriaces et redoutables quand ils sont réunis, décidés à désormais se battre ensemble.

Quelles sont les qualités qu'ils possèdent et qui font la différence avec les travailleurs salariés des grandes entreprises? L'employé, même motivé, sait que quel que sera le travail accompli, il n'en aura jamais la juste récompense. Le petit patron pense que la croissance de son entreprise et la reconnaissance de son statut social se trouvent dans la qualité de son travail et de sa réussite.
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Le plaisir d'exercer un métier et de l'améliorer sans cesse doit aussi être une différence par rapport à l'ouvrier qui attend, avec impatience et sans génie, l'heure bénie où il pourra quitter son emploi et ce, tous les jours, tous les mois, toute la vie.
Il n'est pas rare d'entendre dans les entreprises " le week-end était trop court "encore 11 mois pour atteindre les vacances ", " quand je serai à la retraite " ou simplement " vivement ce soir " comme l'avait sacralisé RTL en son temps par le biais d'autocollants appliqués sur les lunettes arrières des véhicules.

Ceci nous amène à la conclusion que la part de marché de chaque artisan devrait se maintenir et même progresser à condition qu'il pratique son art avec amour.

Mais il m'est déjà arrivé de goûter certains pains artisanaux inférieurs en goût à des pains industriels. Certaines boutiques ou ateliers sont parfois moins attractifs que des rayons de " grandes surfaces ".

Mais dira le boulanger, orgueilleux de son travail, qu'ai-je à voir avec les reproches repris ci-dessus? La qualité de mon pain est excellente, mon magasin est propre et avenant, mon atelier est soigné car j'y travaille et j'ouvre 5 jours sur 7 de 8 à 18 heures.

Il a raison quand il parle de lui mais il a tort quand il parle de la profession et c'est là que l'union doit jouer son rôle.

Quand un artisan fait du mauvais pain, le goût du client se perd et devient de ce fait, la cible de toutes les qualités médiocres. Il ne prend plus plaisir à le manger et diminue sa consommation. C'est donc un besoin indispensable pour la profession que d'aider ceux qui en ont besoin à améliorer leur production.

Lorsque je rentre le jeudi dans la petite ville où j'habite et que j'ai eu besoin d'un pain, je n'ai pas de chance : Sur § boulangeries, 5 ont le même jour de fermeture.

Je sais qu'il est normal d'avoir un jour de congé par semaine ou de fermer une heure pour déjeuner à son aise, mais les trois grandes surfaces de la localité, elles, étaient ouvertes.

A force de prendre le chemin de ces grands magasins, l'on perd vite l'habitude de fréquenter le petit commerce.

La réponse, vous l'avez compris, est là aussi dans l'union. Pourquoi ne pas établir les jours de congé et les heures d'ouverture en accord entre confrères dans une région pour conserver le goût de ce précieux client pour l'artisanat?

Les pharmaciens et les médecins affichent des listes de garde. L'idée d'afficher dans les boulangeries, l'adresse et les heures d'ouverture des collègues est-elle tellement farfelue, surtout en période de vacances? La concurrence existe certes entre confrères mais les prédateurs principaux de votre clientèle, ne sont pas parmi eux.

Aidez-vous les uns les autres, Unissez-vous pour défendre votre part de marché. C'est vital pour votre résistance aux grands groupes.

Le marketing est la manière de distribuer un produit et de battre la concurrence par l'étude des besoins et désirs du consommateur. Comment voulez-vous, seul, vous opposer à ces grands ensembles?

Par contre, par l'union, vos moyens de défense et de réponse seront décuplés car vous serez toujours plus souples que les grandes entreprises soumises à la rigidité des règlements de travail !

septembre 2003
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L'ASSOCIÉ QUI VOUS MANQUE !

Un jeune boulanger liégeois rencontré récemment a tenu à me parler des nombreux associés qu'il avait découverts dans son entreprise.

Voici le discours qu'il me tint. " Vous, qui faites du marketing et qui devez être généralement au courant des choses commerciales, pourriez-vous m'expliquer comment il est possible d'avoir autant d'associés dans mon commerce alors qu'il s'agit d'un investissement personnel? J'ai suivi les cours nécessaires pour avoir accès à la profession, j'y ai englouti mes quelques économies, j'ai emprunté à la banque pour ne dépendre de personne et devenir un artisan indépendant.

Or, dès que j'ai ouvert ma boulangerie, je me suis aperçu ne pas être seul dans mon affaire. Mes professeurs de gestion m'avaient expliqué qu'un patron doit porter plusieurs casquettes dans son entreprise et j'étais préparé à me débrouiller tout seul comme un grand : je serais à la fois directeur général et homme de peine, vendeur et administratif, boulanger, pâtissier et même livreur J'avais admis d'affronter cette solitude dans l'entreprise, l'indépendance n'a pas de prix. Depuis l'ouverture, je n'ai cessé de constater que l'entreprise où je transpirais à longueur de nuits et de journées, comportait de nombreux associés que je n'aurais jamais pensé avoir.

Chaque fois que je vends un pain, j'ai un associé inactif mais terriblement présent qui me réclame une marge de 6% sur mon prix de vente. Sans remettre en cause le principe de la TVA, je dois bien constater que tous mes prix doivent tenir compte de la marge que le ministère des finances m'impose, sans tenir réellement compte du pouvoir d'achat de mes clients. Un raccourci étonnant me fait dire que plus le prix de revient de ma production est élevé, plus mon associé en augmente proportionnellement le prix. La seule manière de résister à mes concurrents qui ont des coûts moins élevés (parce qu'ils sont plus puissants) consiste donc à rogner de plus en plus sur ma marge personnelle et donc sur le confort que j'espérais offrir à ma famille.

Mais ne croyez pas n'est pas qu'il est le seul que j'ai trouvé. Ils y a ceux qui légifèrent sur le pain. Selon les types de pain produit, les ingrédients me sont imposés. Tant pis si ma clientèle aime la saveur salée, je serai limité en sel. Ils ont également fixé des prix maximum de vente pour certains pains dans le but de protéger ainsi le consommateur à faible pouvoir d'achat,mais ils n'ont pas fixé un prix minimum de vente abandonnant ainsi l'artisan à la concurrence des boulangeries industrielles ou des grandes surfaces qui ont font souvent un prix d'appel.

Passons très rapidement sur les différentes inspections de conformité aux règles d'hygiène et des normes haccp, des contrôles musclés des contributions, du respect de la législation sociale où les sanctions prévues par la loi sont de plus en plus dures. Citons en exemple, celles prévues pour non déclaration en temps voulu de l'engagement d'un nouveau travailleur (DIMONA) qui prévoient de 2.500 à 12.500 euros d'amendes et/ou de 8 jours à un an de prison. En bref, toutes les vérifications que des associés exigeants pratiquent dans une entreprise, tout à fait normales lorsqu'ils y ont investi quelque chose : capitaux, gestion, commercialisation ou participation au travail.

Je ferai donc le reproche à ces associés non désirés d'intervenir trop fréquemment dans mon affaire sans m'avoir aidé à la monter ou à la faire vivre.
Que font-ils pour m'aider dans ma tâche quotidienne ? allègent-ils les procédures administratives ? me défendent-ils contre les lobbies et les grands groupes financiers ? me protègent-ils contre la concurrence déloyale des terminaux de cuisson ? m'aident-ils à promotionner la qualité de ma production ?

Non hélas ! Les obligations administratives et légales sont de plus en plus nombreuses, l'artisan est soumis à la dictature des centres commerciaux et de leur puissance destructrice pour sa profession. D'autre part quelle est cette loi injuste qui me demande mes qualifications pour l'accès à la profession, mais qui permet à n'importe quel quidam de réchauffer des produits industriels à la seule condition d'avoir un diplôme de gestion . La promotion d'un produit aussi traditionnel et sain que le pain est laissé aux initiatives privées"
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Ce boulanger est bien amer et se demande pourquoi tant de personnes éminentes s'occupent de son labeur alors qu'il ne demande rien. Par contre, en cas de difficultés il ne recevra pas grand-chose en cas de maladie, d'accident, de faillite, de travaux de longue durée devant son magasin ou de grèves interminables qui le privent de clientèle.

Je ne puis qu'agréer à ses propos. Il est difficile de parler d'une économie de marché lorsque les pouvoirs sont tellement dirigistes, il est encore plus compliqué de parler de libre entreprise lorsque les contraintes sont trop fortes.

J'eus soudain envie de le réconforter, de lui dire qu'indépendamment de l'aspect purement matériel, posséder un métier (remarquez que j'ai dit métier et non commerce) comme le sien, à condition de le vivre intensément et de l'aimer passionnément, est une richesse importante que n'ont plus tous les différents assujettis ou assistés que l'état a créés. Il suffit de voir le malaise profond de beaucoup de nos citoyens qui n'ont plus de leur vie qu'une vision sans intérêt dans une vie machinale et instinctive.

L'artisan a la chance d'être quelqu'un de très important, non sur le plan économique, mais sur le plan humain. Il faut qu'il se batte de toutes ses forces pour continuer à exister, malgré toutes les obligations et charges qu'on lui impose. Qu'il ne perde jamais courage même si sa vie est difficile. Surtout qu'il montre son art, qu'il clame son désir de la perfection au service de l'autre .

Et cet autre personnage important, le client, c'est le seul associé qui l'aidera tout en long de sa vie professionnelle ! C'est le seul interlocuteur qu'il doit écouter avec attention. C'est lui qui apportera les rentrées financières nécessaires à sa survie de son entreprise.

Qu'il lui montre enfin et surtout la différence entre ce qu'il crée de ses mains tous les jours pour LUI et ce que des machines et des travailleurs-robots font pour n'importe qui. Il faut que le client qu'il approvisionne, sache combien le savoir-faire d'un homme de métier est important à son bien-être.

Qui sait un jour, peut-être, la télévision cessera de fonctionner, les ordinateurs perdront leur mémoire et les machines leurs fonctions. Ce jour-là, l'être humain privé des spots publicitaires et l'esprit enfin libéré des lois de la consommation de masse, reviendra vers lui en lui disant : " J'ai faim… tes mains et ton savoir-faire sont magiques... fais-moi du bon pain ! "

Et le petit boulanger se mettra à pétrir à nouveau pour tous, reprenant ainsi conscience de la mission noble qu'il assume et retrouvant enfin sa place parmi une société plus humaine.

juin 2003
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MÉTIER ET CORPORATISME

La société est ainsi faite, qu'il est devenu obligatoire de donner les définitions de mots aussi simples que "métier" et " corporatisme " pour rappeler à celui qui exerce un métier, la responsabilité qu'il a de promouvoir et de défendre sa pratique, et qu'il ne peut en aucun cas le faire seul.

Quelles sont les définitions données par le Petit Larousse Illustré ?

MÉTIER n.m. 1.1. Profession caractérisée par une spécificité exigeant un apprentissage, une expérience, etc... et entrant dans un cadre légal; toute activité dont on tire des moyens d'existence. 2.a. HIST. Groupement dont les membres sont soumis à une discipline collective pour l'exercice d'une profession SYN : corporation. b. Mod. Profession artisanale. Le secteur des métiers. 3. Savoir-faire, habileté technique résultant de l'expérience, d'une longue pratique; secteur d'activité dans lequel une entreprise a acquis ce savoir-faire. Avoir du métier. Les métiers d'une entreprise, etc...

Apprentissage, Expérience, Savoir-faire sont les mots clés qui qualifient le mot "métier". Apprentissage, Expérience, Savoir-faire sont également des mots qui doivent qualifier la boulangerie, la pâtisserie et autres métiers de bouche.

Alors qu'un ordinateur peut tester la mécanique la plus compliquée pour en déterminer la qualité, seul l'artisan et son client ont la capacité réelle de juger le goût d'un pain ou d'une pâtisserie. C'est l'honneur et la satisfaction du boulanger et du pâtissier dignes de ce nom. Ils exercent donc tous deux un métier au sens noble du mot et selon la définition ci-dessus donnée. De plus, un accès à la profession existe, preuve s'il le faut, que les mondes économique et juridique estiment tous deux, le besoin de connaissances et de capacités pour l'exercer.

CORPORATISME n.m 1. Défense exclusive des intérêts professionnels d'une catégorie déterminée de travailleurs 2. Doctrine économique et sociale qui prône la création d'institutions professionnelles corporatives représentées auprès des pouvoirs publics.

En ce début du XXIème siècle, la vie économique est dominée par le capital anonyme. Il ne s'agit pas ici d'une phraséologie politique vide de sens. L'on assiste à des regroupements de capitaux qui donne le pouvoir de peser lourdement sur le pays et les hommes et ils ne sont plus la propriété d'un individu mais bien la celle d'un nombre important de personnes anonymes ayant placé leur argent sous la forme de fonds divers, de sicav ou d'actions.

Il est certain que l'intérêt de ces petits porteurs se portent uniquement sur le bénéfice que peut leur rapporter leu placement et non sur la création et la pérennité d'une entreprise.

Le pauvre artisan, face à ces groupes financiers qui investissent dans des entreprises industrielles obligées d'amasser des profits suffisants pour ne pas perdre leurs actionnaires, est bien démuni s'il est seul. Le corporatisme vu d'une manière moderne et intelligente est la seule réponse à cette solitude qui risque d'entraîner la mort de l'artisan. C'est pourquoi j'ai toujours estimé que le statut d'indépendant entraînait la dépendance vers une solidarité obligatoire.

Le capital est sans amour pour l'homme alors que l'artisanat est (ou devrait être) totalement orienté vers l'humain. Les artisans se battent donc, non seulement pour leur métier, mais également pour une société où l'homme peut mieux s'épanouir.

Je ne me sens jamais plus heureux que lorsque je déguste un aliment savoureux, un vin goûteux et cela, en compagnie de parents et d'amis. Que sont l'amour et l'amitié sinon le plaisir de partager des sensations ? C'est pourquoi mon engagement se portera toujours vers le petit patron et sa pratique.

A ce point de vue, les boulangers et pâtissiers ont un besoin absolu de se réunir, non seulement pour avoir des interlocuteurs représentatifs à placer face à nos gouvernants dans le but de défendre et de faire évoluer leur profession, mais surtout pour opposer une résistance farouche au pouvoir de l'argent et de la production de masse.

Quand un groupe industriel s'empare d'un produit, il peut être comparé à un rouleau compresseur nivelant tout sur son passage, la qualité, le prix, le service. Il a pour lui, les capitaux, les lobbies politiques et socio-économiques. Plus il produit, moins cela lui coûte. Plus il a de main-d'oeuvre et de machines, moins il a d'irrégularités dans sa production. Plus il vend, moins de concurrents subsistent. Enfin, la masse de sa production standardisée crée des clients de moins en moins accoutumés à un goût différent même s'il est nettement supérieur.

Pour échapper à ce laminage inéluctable, il ne reste que le chemin de traverse, celui d'une production limitée, mais soignée, celui d'une clientèle plus petite, mais plus exigeante, celui d'un chiffre d'affaires inférieur, mais offrant une marge bénéficiaire plus grande.

Les producteurs industriels ne ne contentent pas de la grande distribution pour écouler leur production. La franchise est une porte ouverte à la dissémination de petits points de vente qui peuvent, dans l'apparence, sembler être des boulangeries normales.

Il est possible de démarrer " un centre de cuisson " dans le cadre d'une franchise avec un investissement de quelques milliers d'euros, sans connaissance particulière et sans accès à la profession de boulanger. L'équipement, les produits et les procédures de fabrication sont fournis par le franchiseur.

Il s'agit là d'une industrialisation où le produit est fabriqué sous le contrôle d'hommes de métier certes, mais ensuite surgelé, livré dans des locaux commerciaux, stocké, puis réchauffé ou cuit sur place par des personnes non qualifiées.

Peut-être serait-il bon que les boulangers ne suivent pas le même type de commercialisation par paresse ou appât du gain facile. Tout le monde sait que les croissants servis aux clients dans certaines boulangeries " classiques " sont parfois des pâtons surgelés. Pourtant, seule la qualité artisanale fait une nette différence avec le produit industriel !

Et c'est là que j'interpelle l'artisan.
Aime-t-il suffisamment son métier pour abandonner la facilité d'un travail standardisé ?
Peut-il s'écarter des habitudes et de la facilité pour entrer dans le monde de la création et de la perfection ?

Le monde change, mais l'homme demeure. Il est temps de pour le véritable homme de métier de s'adapter et de s'associer à ses confrères afin de pouvoir survivre et prospérer. Demain, il sera trop tard !

mai 2003
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VOULEZ-VOUS ME DONNER LE MENU SVP ?

" Voulez-vous me donner le menu, s'il vous plait ? " est une demande bien connue de l'ensemble du public qui fréquente les restaurants. Souvent sa lecture s'accompagne de questions posées au garçon. " Comment servez-vous votre chateaubriand béarnaise ? " ou encore " Votre filet américain est-il préparé à la commande ? ".

Ces questions permettent au client de connaître les offres du restaurateur et de choisir selon son envie. L'on juge souvent la qualité d'un établissement à la composition de sa carte et nombre de gourmets s'attachent à découvrir des préparations inconnues. Les plaisirs de la diversité et de la curiosité réunis au profit du chiffre d'affaires.

Quelle différence entre l'offre du restaurateur et celle du boulanger !

D'abord, le client connaît peu ou très peu les différentes sortes de pain qui lui sont proposés. Ensuite, lorsqu'il hésite, la réponse de la vendeuse est souvent sommaire. Celui-ci est moins gris, celui-là a une plus grosse mouture et le troisième est à huit céréales.

Huit céréales, lesquelles ? Et puis quel est la valeur gustative ou nutritive d'une céréale donnée ? Le client n'a de réponse que si la meunerie qui a fourni la farine pour le pain, a laissé occasionnellement des brochures explicatives ou une affiche publicitaire.

Et me viennent alors à l'esprit des constatations de base certes mais essentielles.

Les vendeuses n'ont pas le temps de discuter avec le client. Elles ne sont souvent pas boulangères de métier et n'ont souvent pas de grandes connaissances en matière de panification. De plus, le client est-il à même, dans son empressement à faire ce qui est trop souvent appelé ses achats de première nécessité, de comprendre ce qu'il lui serait expliqué et le retiendrait-il ?

Alors pourquoi pas un menu ? Pourquoi pas un document que le client emporterait pour mieux connaître les différents pains proposés par la boulangerie, leur composition, leurs avantages gustatifs et nutritifs et pourquoi pas un numéro de téléphone pour réserver la commande du lendemain.

Et tant que l'on y est, pourquoi pas, dans celui-ci une présentation de la boulangerie, de son Maître Boulanger, de ses heures et jours d'ouverture.

La survie de l'artisan est dans les liens crée avec ses clients. Une telle promotion du magasin (et de son atelier, surtout !) ne pourrait que les créer et les renforcer. Je suis toujours effaré de voir avec quelle passion, un individu peut parler du cuisinier ou du petit restaurant formidable qu'il a déniché mais ne lui demandé pas la même fougue pour son boulanger ou son pâtissier.

J'ai parfois l'impression que certaines meuneries tentent de favoriser les artisans en leur communiquant des formules et de farines spéciales. Je présume qu'elles engagent un certain montant financier dans la promotion de ce produit vers les boulangers.

Je pense que celle qui, par le biais de ce montant, développerait un concept de présentation imprimée des produits artisanaux qu'elle permet de faire et qui y intégrerait, pourquoi pas moyennant un contrat de fidélité, la présence personnalisée du boulanger qui les réalise, aiderait à l'expansion du nombre de consommateurs. Intégrer une présentation humaine avec photo, petit historique de la vie professionnelle du boulanger (ou pâtissier) et dans certains cas, les récompenses qu'il a obtenues. A l'heure de la photographie et de la reproduction digitale, cela ne devrait pas poser de gros problèmes techniques et être d'un coût abordable compte tenu des économies d'échelle (seule la présentation de l'artisans changerait).

Dans le fond, la profession manque souvent d'éléments fédérateurs. Ce type de projet pourrait (re) créer une nécessaire union contre l'envahissement industriel et pour la résistance contre les grands groupes anonymes . Peut-être des accords pourraient être établis par les canaux privilégiés que sont la fédération professionnelles et les institutions mises en place pour la promotion de l'artisanat. Combien de boulangers et pâtissiers où je m'arrête par hasard, m'avouent ne pas être membre de leur fédération professionnelle. Pour un tas de bonnes et de moins bonnes raisons. C'est suicidaire car l'heure n'est plus à la dispersion des combats. Etre indépendant, c'est louable mais savoir rejoindre les siens pour être plus forts est indispensable.

Et comme les rêves ne se concrétisent pas toujours, pourquoi les plus actifs ne feraient-ils pas l'investissement de l'impression régulière d'une petite feuille imprimée (même en noir et blanc) au lieu de dépenser leur maigre budget de publicité en cartes de soutien et journaux locaux.

Un petit présentoir sur le comptoir, le sourire de la boulangère et le fameux petit menu.
Chez nous, nous pétrissons, nous cuisons pour vous. Ce n'est pas un pain ordinaire mais bien celui que nous élaborons chaque jour pour vous. Et comme au restaurant, variez dans votre achat de pains, la gamme que nous mettons à votre disposition est faite pour toutes les circonstances de la vie quotidienne, de la tartine du petit déjeuner au quignon de pain comme accompagnement naturels des plats mijotés en passant par un vrai toast " maison " pour les zakouskis ou du pain grillé en place de ces biscottes industrielles.

Monsieur le Boulanger, voulez-vous me donner le menu s'il vous plait, j'ai une forte envie de vous passer ma commande !

mars 2003
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ARTISANS SANS MARKETING ?

Cela fait déjà un certain temps que je considère que l'artisan manque singulièrement d'attitude proactive tant sur la défense de son produit que sur l'affirmation de sa personnalité.

Alors que l'orgueil de posséder un savoir-faire évident devrait le pousser à être sur le devant de la scène commerciale, il a souvent une attitude résignée face à la concurrence industrielle.

Il est vrai qu'il manque singulièrement de moyens face aux grandes chaînes de distribution qui en profitent pour marquer des points supplémentaires dans la guerre inégale qu'elles lui livrent.

En janvier, un dépliant publicitaire en quadrichromie d'une de ces chaînes consacrait 4 pages sur 12 sur le thème du pain. Depuis un rappel historique de sa consommation, en passant par la culture du blé, sa transformation en farine, avant de décrire la méthode de panification artisanale bien sûr, si l'on en croit la description et les illustrations qui l'accompagnent.

Le dernier dessin, fort joli du reste, montre la (petite) vitrine d'une (petite) boulangerie, décor 1900, à travers laquelle se profile une charmante et gracieuse boulangère en train de servir un client. La conclusion de cette campagne publicitaire est simple. Même les panificateurs industriels se servent des images désuètes mais attachantes encore imprimées dans le subconscient du consommateur pour vendre leurs fabrications automatisées à l'extrême.

Ce paradoxe existe également chez les vendeurs de pâtons surgelés où la recommandation des services marketing du franchiseur est de cuire à longueur de journée dans le magasin afin d'imbiber le client de l'odeur alléchante que seule un fournil en activité peut donner.

Les lecteurs me diront qu'à une époque où la plupart des gens mange peu de pain, les incitations à revenir vers une consommation plus importante de ce produit est bénéfique à la profession et je crois qu'ils ont raison. Mais il ne faut pas se leurrer ce type de publicité est fait pour gommer la distance qu'il y a entre un produit standard fabriqué par des machines et le produit pétri à pleines mains par un vrai boulanger.

Ces campagnes sont la preuve que les spécialistes marketing de ces grands magasins ont décelé qu'actuellement encore, l'image d'Epinal de l'artisan, créateur de son pain, est toujours porteuse de signification, fut-elle même inconsciente.

Elles cultivent également un paradoxe en volant quelque part l'identité de l'artisan et en lui laissant jouer le rôle inerte du vendeur. Mais puisqu'un jeu subtil consiste à faire croire à la valeur artisanale du produit, il serait logique que dans cette bataille pour l'image, le vrai boulanger artisan sorte vainqueur du combat. Ce n'est hélas! pas souvent le cas.

Dans le dernier numéro du Moniteur, je soulignais l'importance de la présence active du boulanger dans son magasin qui lui donnait déjà une empreinte immatérielle mais très importante dans l'appréciation du produit qui y est délivré.

Et la vérité est bien là : trop d'artisans ne le sont plus assez ou s'ils le sont encore, ne le font pas savoir. Ils ignorent trop souvent les règles élémentaires de la communication.

Paraphrasant Montesquieu, célèbre auteur français du 18ème siècle qui disait, " l'histoire du commerce est celle de la communication des peuples ", je dirai que l'histoire de la boulangerie est celle de la communication entre le boulanger et son client. Ce qui est ignoré, n'existe pas pour ce dernier.

Que peut-il savoir de la merveilleuse alchimie qui s'accomplit dans le pétrin et sous la manipulation expérimentée de l'ouvrier ? Que connaît-il de l'enfournement et de la surveillance attentive de la cuisson pour former une mie aérienne dans une croûte juste dorée à point ? Que sait-il du défournement et du ressuage qui permet de trouver la consistance idéale ? Sait-il également que le choix de la farine, de la levure, de l'eau et même du sel va influer sur le résultat du travail fourni ?

Les écossais affirme que ce qui fait la qualité d'un bon whisky est la pureté de l'eau. Sûrement que les boulangers choisissent la farine et la minoterie qui la fournit avec grand soin, peut-être certains utilisent-ils une eau plus pure que celle du robinet, un sel marin ou une levure naturelle mais je n'en ai pas encore rencontré qui le disent ou l'expliquent.

L'artisan peut décrire ce savoir-faire ancestral amélioré par des générations de maîtres boulangers, révéler les secrets de la magie que ses doigts éveillent, expliquer l'amour de la perfection journalière et la passion de satisfaire l'amateur de son pain. Il ne le fait pas. Pourquoi ? Pourquoi laisse-il à d'autres l'explication de ce qu'il fait et est fier de faire ?

Peut-être simplement parce qu'il n'a pas été formé pour cela ! Mais, face à une concurrence sauvage qui tend à le faire disparaître, il doit réagir et se forcer. La foi soulève des montagnes, pourquoi ne parviendrait-elle pas à réhabituer le client à faire le choix de l'artisanat ?

Admettre ces vérités est un premier pas qui conduira inéluctablement à modifier la communication vers le client. Ensuite viendra le moment de la recherche de différence entre le pain " normal " et celui fait avec amour. Et dès que cette différence sera trouvée, suivra automatiquement la communication rétablie. En effet, comment s'empêcher de faire partager sa passion à ceux qui viendront apprécier votre travail.

Les machines ne se révolteront jamais, mais elles seront un jour mises de côté, simplement parce que leur production n'aura jamais d'âme et que celle-ci est indispensable à la vie.

mars 2003
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LA BOULANGERIE: SIMPLE POINT DE VENTE ?

Dernièrement, j'ai eu une conversation téléphonique, par le biais de SOS Marketing, avec un boulanger qui voulait profiter de ce service de conseil gratuit que je mets à la disposition des lecteurs du Moniteur Francophone de la Boulangerie-Pâtisserie.

Il était très étonné car homme de métier exploitant avec succès depuis longtemps une boulangerie, il avait un problème de rentabilité avec une deuxième boulangerie qu'il avait repris depuis peu. Ce nouveau point de vente n'arrivait même pas à atteindre les derniers chiffres de vente réalisé avant la reprise du commerce.

Pourtant, me disait-il, tous les produits étant fabriqués par lui-même dans son propre atelier, ils étaient donc de même qualité. Comment expliquer le succès du premier magasin par rapport à l'insuccès du second ?

Après quelques secondes d'entretien, j'appris que son atelier était situé, dans la première implantation, c'est-à-dire que, même en employant une vendeuse au comptoir, il était constamment présent dans celle-ci, alors que les vendeuses se trouvaient seules dans la seconde.

Je lui ai donné mon avis et j'ai pensé que celui-ci pouvait intéresser tous ses collègues qui, parfois, croient erronément que seul la qualité ou le prix de produit fait le succès commercial.

1ère réflexion : La présence de l'artisan donne une valeur au produit.

La boulangerie attire encore toute une catégorie de clients influencés, consciemment ou inconsciemment, par le travail artisanal. J'ai toujours plaisir à rappeler qu'un produit est composé de deux caractéristiques essentielles, celle qui est purement physique, c'est-à-dire le pain et celle qui est émotionnelle, l'image mentale que s'en fait le client, dans le cas présent une qualité donnée par un homme de métier qui garantit la fraîcheur et la saveur.
S'il s'agissait d'un client de grande surface, l'image sera probablement le prix et la facilité de tout trouver sous un même toit. La première caractéristique compte pour 20% dans la décision d'achat d'un client alors que la caractéristique émotionnelle " cartonne " avec 80% d'importance.

Or, pour bénéficier de cette image de " fait-maison ", le produit a besoin, soit de la présence du créateur dans le point de vente, soit d'un nom (et d'un renom) connu comme artisan valable qui garantit que le produit est bien le résultat de son savoir-faire et est contrôlé par lui.

Mon interlocuteur a donc commis une erreur dans le sens que, personnalité hautement appréciée dans sa première localisation commerciale, il est, par contre, peu connu dans la deuxième et de ce fait, les vendeuses qu'il y employe ne se différencient en rien de celles qui opère dans une supérette ou un dépôt de pain pour dépannage.

2ème réflexion : la présence du patron motive les vendeuses

Alors que dans son premier magasin, il a l'occasion de former et de suivre son personnel, dans le second, ce n'est pas les rares apparitions qu'il y fait qui peut remplir le même rôle.
Dans le premier, une connivence s'installe dans la pratique du métier tandis que dans le second, il faudrait employer un personnel agissant pratiquement comme s'il était son propre patron. Or combien de vendeuses sont à même de jouer valablement ce rôle ? Quelles seraient leurs motivations qui les pousseraient à agir ainsi ?

De plus, la personne qui sert derrière le comptoir participe à l'image de l'artisan. J'observe parfois l'attitude des vendeuses d'un point de vente indépendant situé dans une grande surface au centre de Liège. Sans pouvoir faire aucun reproche à leur tenue, ce sont des véritables automates qui délivrent les pains. Réassortiment du rayon alors qu'une file de clients s'impatiente, bavardage entre collègues tout en servant, numéros d'attente non utilisés, erreur dans le service (petit pain au lieu d'un gros, etc.) sont des choses courantes.

3ème réflexion : Les vendeuses doivent connaître et aimer le produit

La diversification de types de pain et le fait que souvent sa vente s'accompagne de la vente de pâtisserie oblige une véritable formation de celles-ci. Pour bien vendre, il faut connaître son produit, savoir quel en est sa composition, la manière dont il a été fait, ce qui le différencie des produits des concurrents.

Je me demande souvent comment se passe la première journée de travail d'une vendeuse dans notre corporation. Bien sûr, la manipulation de la caisse et de la machine à découper le pain, la présentation du comptoir, la place des différents produits sont certainement à l'ordre du jour et c'est un minimum.

Mais y a-t-il une présentation réelle du boulanger ? et du magasin ?
Pour parler au client et savoir répondre à ses questions, il est pourtant intéressant de savoir où et quand il a été formé, quels sont ses spécialités, pourquoi il est différent de ses collègues.

Dans le fond, l'idéal serait de prendre la nouvelle vendeuse le premier jour à l'atelier et de lui expliquer, au fur et à mesure du travail accompli, comment il se fait, ce qui le compose et ce qui lui donne sa qualité. Cela pourrait lui donner une certaine fierté de proposer les produits, l'envie de ne pas se contenter de servir et d'encaisser sans un mot. Elle pourrait, si elle convient au métier, prendre rapidement l'orgueil du travail bien fait et devenir l'agent de promotion du savoir-faire de son patron.

4ème réflexion : le lieu de vente est un théatre

Si l'on veut vendre un produit artisanal, il faut montrer que l'on est un artisan.

Les clients enregistreront le passage régulier dans le magasin du boulanger sous l'aspect où ils s'attendent à le voir. Le port de la chemise à carreaux et de jeans ne correspondent certainement pas à leur attente. Par contre un peu de farine sur les mains ou sur la tenue de travail ajoutera l'idée d'un travail manuel.

L'odeur d'une cuisson s'échappant de l'atelier ajoutera l'éveil du désir pour le produit. Un boulanger " bon commerçant " s'arrangera pour que cette odeur vienne régulièrement chatouiller le sens olfactif de ses clients. Il serait dommage de laisser cet argument de vente important uniquement aux non professionnels, réchauffeurs de pâtons surgelés.

Enfin, la conversation avec le client portera sur le métier, sur ses produits et la passion de la qualité, ajoutant ainsi un " plus " décisif qui créera un rapport affectif indispensable au développement de la caractéristique mentale décrite ci-dessus.

Voilà ce que j'ai répondu à ce boulanger sur son interrogation pour son deuxième point de vente mais ces réflexions valent également pour le point de vente unique. C'est pourquoi je vous les communique avec plaisir.

février 2003
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LES PÂTISSIERS

" L'homme de qualité fait le bon boulanger " était le titre d'une de mes chroniques précédentes. Et c'est vrai qu'un bon pain ne peut être fait que par un boulanger de qualité. Mais dans une corporation où bien souvent boulangerie et pâtisserie sont faites des mains d'un même artisan, l'on ne met pas toujours assez sur le pâtissier. Même tenue, même homme mais travail totalement différent.

" A l'œuvre, l'on connaît l'artisan " disait Jean de la Fontaine. C'est donc à la pratique que l'on reconnaîtra si l'artisan est plutôt pâtissier que boulanger. Si la fabrication du bon pain demande une connaissance professionnelle et une expérience certaine, celle de la pâtisserie demande de l'imagination et du goût. Dans tous les magazines, des pages spécialisées parlent des " grands chefs " de la gastronomie ou des " petits restos " qui valent un détour, parfois important, tant le plaisir de la table est une valeur de bonheur pour l'homme. Mais il est rare, pour ne pas dire inexistant, de trouver une critique sur un pâtissier dont le magasin (ou le salon de thé) vaut le déplacement.

La pâtisserie semble être considérée comme un art mineur de la gastronomie, qui est, elle, l'art de la bonne chère. Elle n'est mentionnée que, comme dessert, dans le cadre d'un menu particulier. Si le cuisinier joue avec des saveurs sucrées, salées ou acides pour composer entrées et grosses pièces, le pâtissier joue différemment mais avec les mêmes saveurs pour les gâteaux et les desserts.

La pâtisserie est donc pour moi un art entier dans lequel le pâtissier peut devenir un maître et passer de l'artisanat à l'art tout court.

En effet, si la boulange demande de la rigueur dans le choix des produits de base et de leur travail, la pâtisserie demande de la créativité, du goût et de la sensibilité. C'est un art où l'homme de métier peut se surpasser et cela, aussi bien que le cuistot dans sa cuisine.

Chez le maître pâtissier, le mot atelier prend toute sa signification car c'est là qu'il développera un talent réel et je connais nombre de biscuits, chaussons, choux, danoises, feuilletés, fondants, génoises, mille-feuilles, paris-brest, pets-de-nonne, religieuses, rochers et même tartes qui sont de pures merveilles, des œuvres fugaces dont la perception peut devenir un souvenir inoubliable !

Mais pourquoi une telle différence d'appréciation entre cuisine et pâtisserie ? Alors que la première a évolué pour toujours chercher une amélioration gustative des plats, même les plus simples, la deuxième s'est contentée de reproduire à l'infini le même produit. Il suffit de voir les assortiments dans les vitrines ou les comptoirs de pâtisserie pour constater une mise à disposition sans fioritures, des éclairs, des tartes, voisinent avec des gosettes.

Encore heureux lorsque le nom des fruits qui fourrent les gaufres est mentionné sur une étiquette d'une écriture malhabile parfois directement avec le prix.

Le nom et la composition du produit n'apparaissent nulle part et comme le client est devenu inculte en matière de pâtisserie, il devine avec le regard la contenu du gâteau et commande " celui-ci " ou " celui-là " en dirigeant un doigt décidé.

Pourtant, c'est la formation au goût et la connaissance du produit que l'on va consommer qui fait le connaisseur. Sans cela, un gâteau n'est jamais que de la pâte avec de la crème, le tout étant largement sucré.

Quelle erreur de l'artisan de ne pas avoir mis son métier en valeur par une éducation de ses clients. Combien de consommateurs savent encore ce qu'est une crème anglaise ou une meringue ? Combien sont à même d'apprécier la finesse de leur composition ? Combien sont à même d'appeler une pâtisserie par son nom ?

C'est pourquoi ma chronique marketing met l'accent sur les pâtissiers, les vrais. Les deux métiers peuvent se côtoyer mais jamais se mélanger. Chez les bons cuisiniers, il y a les rôtisseurs et les sauciers. Cela n'empêche pas le rôtisseur de faire des sauces, ou le saucier de griller une viande, mais il y aura toujours une spécialisation plus forte pour l'un ou l'autre.

Pourquoi les boulangers pâtissiers échapperaient-ils à cette règle d'un savoir-faire spécialisé ?

Comme de plus en plus de pains sont fabriqués de manière semi-automatique, comme la plupart des nouveaux pains sont le fait de producteurs de farine, comme sa consommation perd du volume, je ne puis que recommander au professionnel de se passionner à nouveau pour la pâtisserie. Là se trouve l'immense satisfaction d'avoir ses recettes, ses trouvailles, ses accords gustatifs qui font la différence d'une pâtissier à l'autre.

Mais pour arriver à ce résultat, comme pour le pain, il faudra rééduquer le client.  Comment ?

Simplement en prenant le temps de mentionner le nom du gâteau, sa composition, la manière de le conserver et de le consommer. Combien de mokas sortent d'un frigo ménager juste avant d'être consommé, avec une crème presque gelée, donnant une saveur compacte alors que la légèreté devrait l'emporter ?

Et puis pourquoi, ne pas confectionner chaque semaine une mini pâtisserie afin de pouvoir la faire déguster sur place par le client et entamer avec lui un dialogue descriptif sur ce produit mis ainsi en promotion.

Eh oui ! En marketing, la promotion ne veut pas toujours dire baisse de prix ou un dixième gratuit. Cela peut-être une dégustation, une conversation passionnée sur le produit, sur celui qui l'a fabriqué, etc.

Dans le temps, l'on voyait encore une pancarte qui indiquait " tous nos produits sont fait pur beurre ". Aujourd'hui, cet affichage a presque disparu des commerces et l'on ne s'interroge plus sur la matière grasse utilisée pour la fabrication.

Pourtant, nous sommes à l'heure de l'information du consommateur, à la recherche de produits sains et naturels, de produits " bio ". Alors pourquoi nos professionnels artisans rament-ils à contre-courant ? Pourquoi négligent-ils un fort courant de consommation ?

Pour tous les membres de la profession, ce que je souhaite est qu'ils fassent de l'excellent pain que l'on prend plaisir à manger mais aussi et surtout de la pâtisserie où leur art pourra s'éclater. C'est de cette manière qu'il combattront efficacement la concurrence des industriels de l'alimentaire, c'est de cette manière qu'ils rendront leurs clients heureux, c'est de cette manière qu'il retrouveront un merveilleux métier qui favorise la personnalité de celui qui l'exerce !

Janvier 2003
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UNE NOUVELLE ANNÉE ET DE NOUVELLES RÉSOLUTIONS

Ce numéro paraîtra quelques jours avant l'année nouvelle et j'aime suffisamment les artisans pour que je songe à leur présenter mes meilleurs vœux pour les prochains mois. Bien entendu, si comme tous, je pense d'abord à leur santé et à leur bonheur, en tant que conseiller marketing, je veux aussi penser à leurs affaires dans un monde commercial difficile où chaque jour amène son lot d'incertitudes.

Il y a quelques temps, à l'occasion de dix ans de collaboration régulière à un mensuel économique ,j'avais publié mes 10 vérités marketing. Il s'agissait en dix points de rappeler des règles commerciales élémentaires pour la survie de l'entreprise. Elles eurent un grand succès et il n'est pas rare de les retrouver affichées dans le bureau du patron d'une petite PME.

Ce succès est venu simplement de l'énoncé de vérités connues, mais trop souvent oubliées par le gestionnaire.

A l'occasion de 2003, j'ai voulu les adapter pour le patron boulanger afin de lui permettre de redécouvrir ce qu'il sait mais qu'il oublie trop souvent. Pourtant, je puis l'assurer que le respect de ce qui pourrait à la limite être considérer comme des banalités, lui donnera un maximum de chances de réussite dans son commerce.

Je les lui offre avec quelques commentaires et j'espère qu'elle seront souvent présentes dans son esprit lorsqu'il poussera la porte de son atelier ou de son magasin.

1. Une boulangerie ne peut vivre sans client.

C'est l'évidence première. L'on ne peut se contenter de constater passivement chaque jour une baisse de nombre de personnes qui fréquentent le magasin. Il est donc important de s'interroger sur la diminution de clientèle et de prendre des mesures rapides. Changement de lieu, transformation, publicité peuvent être des réponses valables à ce problème.

2. Le client doit aimer le pain pour que le boulanger puisse exercer son métier.

Si la profession ne se bat pas mieux et plus fort contre la désaffection de ce produit au profit d'autres tels que les céréales, les biscuits et autres aliments dits complets, la saveur du pain sera oubliée sinon rejetée. Les enfants préfèrent déjà des barres chocolatées industrielles à un savoureux croissant ou petit pain au chocolat. Cette tendance doit être impérativement inversée.

3. Un artisan ne peut pas plaire à tous.
Il doit donc choisir son type de client et adapter ses produits pour qu'ils lui plaisent.

Vendre un produit à quelqu'un, c'est le séduire, c'est répondre à ses attentes. Les individus sont tous différents et ce qui plaira à l'un déplaira peut-être à l'autre. C'est pourquoi il faut avoir le courage de sélectionner la clientèle, mais de ne pas oublier que ce choix doit apporter une rentabilité nécessaire.

4. Le message commercial doit être cohérent.
La qualité se paie et est un privilège pour ceux qui savent se la payer.

Il est de plus en plus vain de se battre sur le prix de vente d'un produit,et d'autant plus si la libéralisation du prix de certaines panifications se faisait. L'artisan doit être justement rémunéré et par conséquent, le client doit prendre conscience du choix qu'il fait. Une qualité " standard " parce qu'il n'a pas les moyens financiers ou le goût pour choisir autre chose, ou bien une qualité supérieure faite pour son plus grand plaisir.

5. Le bon boulanger ne vend pas de la nourriture mais du plaisir.
Tant que l'artisan considérera qu'il fabrique un aliment de base pour " compléter la masse alimentaire dans l'estomac ", il sera en position de faiblesse. Le pain doit être un aliment de choix, parce que c'est bon, parce que cela donne du plaisir. Un mauvaise qualité de pain dénature le goût du beurre, de la confiture et même du foie gras.

6. Rien ne sert de fabriquer un bon produit,
si celui qui le sert enlève, par son attitude, toute joie à l'acte d'achat.
Un grande surface avait bien été conseillée par son agence publicitaire dans un slogan devenu célèbre entre temps " … et le sourire de la crémière". Une vendeuse revêche, un patron énervé, un magasin désordonné, un emballage triste sont autant d'éléments subjectifs qui diminue la qualité pourtant réelle du produit.

7. Le client mécontent ne réclame pas, il change de fournisseur.
Encore une réalité. Lorsque l'on constate la disparition d'un client habituel, il est trop tard pour savoir pourquoi il vous a quitté et si ce motif n'est pas suffisant pour en perdre d'autres.

8. Il est dangereux de croire que le client est toujours satisfait de ce qu'il achète.
Le bon boulanger l'interrogera régulièrement sur ses attentes et besoins pour mieux le servir. C'est par une communication intense avec le client lors de ses visites que l'on peut prévenir l'hémorragie de clientèle fatale, évoquée dans le point 7. La survie de l'entreprise dépend donc de ce point important.

9. L'artisan doit aimer à la fois sa boulangerie, son pain et celui qui le consomme.
Rejeter un des trois éléments équivaut à les rejeter tous ! Ici, l'on rejoint ma conviction profonde sur le métier d'artisan. " L'homme de qualité fait le bon boulanger " était le titre de mon article précédent. Comment réussir sa vie si l'on n'aime pas ce que l'on est, ce que l'on fait et ceux qui y participent ?

10. la vie est en constante évolution, le goût et les modes également.
Pourquoi la boulangerie échapperait-elle à cette règle universelle ? Eh oui, c'est la vérité finale qui a conduit des empires à leur perte, qui a ruiné des vies de patrons et d'ouvriers, qui a fait la malheur de familles entières. Le problème s'accroît avec l'accélération des échanges culturels et techniques et la mondialisation tant décriée. Alors qu'autrefois, il fallait parfois plusieurs années pour voir la disparition d'un commerce, aujourd'hui quelques mois, sinon quelques jours, peuvent suffire.

Ma conclusion se basera sur cette dernière vérité. Le changement, s'il apporte des menaces nouvelles, apporte aussi, et c'est heureux!, des opportunités qui sont les réussites de demain.

Conservez donc l'espoir, surveillez votre clientèle, adaptez vos produits, battez-vous pour que soit à nouveau reconnu votre métier et gagnez une nouvelle vie pleine de satisfactions et de joies. C'est les vœux que je forme aujourd'hui et croyez en leur sincérité : j'aime le bon pain et son créateur unique, le boulanger.

Décembre 2002
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L'HOMME DE QUALITÉ FAIT LE BON BOULANGER

J'ai envie de commencer cette chronique par la dernière phrase qui clôture la nouvelle de Jean Giono que Marcel Pagnol a mise en scène sous le nom de " La Femme du Boulanger ".

Aimable s'est établi comme boulanger dans le petit village de Sainte-Cécile.
Il est apprécié par les villageois pour le pain savoureux qu'il leur fait.Mais un jour, Aurélie sa femme s'enfuit avec un berger. Dès lors, Aimable délaisse son fournil et n'est plus à même de cuire le pain. Le village est vite affamé et ce n'est que lorsque la femme infidèle rentra à la boulangerie que le boulanger retrouva le goût de son métier et le village la saveur du pain nouveau.

" A midi, le boulanger chargea son four en plein avec des fagots de chêne bien sec. Il n'y avait pas de vent; l'air était plat comme une pierre; la fumée noire retomba sur le village avec toute son odeur de terre, de paix et de victoire. "

Toute la symbolique du pain se trouve dans cette phrase et dans l'histoire, somme toute banale, mais tellement humaine. Pour faire du bon pain, il faut qu'il apporte le bonheur de pétrir, d'enfourner et de suivre la cuisson jusqu'au moment magique où la croûte dorée laisse s'échapper une senteur incomparable. Il faut aussi que celui qui le consomme ait conscience que ce pain a été fait par un artisan amoureux de son produit et soucieux de lui procurer le plaisir d'une saveur sans cesse retrouvée dès la tendre enfance et le souvenir des tartines. à la confiture " maison ".

Toute l'émotion que je ressens à écrire ces lignes sera certainement ressentie par les lecteurs de ma génération. Le pain est magique tout comme le vin. Ce n'est certes pas un hasard que le Christ, lors de son dernier repas, a choisi ces deux aliments pour symboles de sa chair et de son sang.

Hélas, l'industrialisation et la standardisation ont coupé non seulement les références éducationnelles des consommateurs, mais ont enlevé tout côté " passionnel " à sa fabrication.

La farine et la levure sont traitées industriellement, la pâte est malaxée par des machines automatiques, le four est électrique et la minuterie donne le moment de désenfourner. Quel humain peut encore se passionner dans une telle procédure de fabrication ? Le travail du boulanger devient machinal et cela se sent à le déguster. Je m'étonne toujours des fluctuations de goût et de cuisson du pain acheté. Comment peut-on trop ou trop peu cuire un pain si ce n'est par négligence ou par un manque de surveillance!

La qualité de l'homme fait le bon boulanger. Ce titre est évident. Celui qui a l'envie d'une vie riche ne peut se contenter de ce travail dont le seul intérêt est de se créer des revenus permettant une vie autre que la professionnelle. Comment s'apprécier et se réaliser lorsque la boulangerie familiale devient semblable à une prison obligatoire où l'on attend la fin de sa peine pour aller chercher ailleurs ce que l'on n'y trouve pas?

Il est une évidence, le métier de boulanger est désormais scindé en deux : le fabricant et vendeur du pain aliment de base (mais apparemment il l'est de moins en moins) ou l'artisan boulanger, c'est à dire celui qui est fier de son œuvre sans cesse recommencée et améliorée par la pratique, l'expérience et l'amour du travail bien fait.

Mais n'est pas artisan qui veut. Obtenir ce statut demande beaucoup de patience et d'humilité.

" Aurais-je un jour la possibilité d'exercer un métier qui ne me ferait pas perdre le goût de m'amuser ? " s'est interrogé un jour Michel Serrault, l'acteur bien connu. Cette angoisse existe certainement chez tout homme de métier. C'est évident, que pour des raisons économiques, il est difficile de transformer brusquement son commerce ou son atelier en un endroit où l'amusement est permanent.

Mais se re-passionner pour son métier, faire partager, petit à petit, cette passion à ses clients est certainement la manière de trouver de plus en plus souvent des petites joies qui conduiront certainement au bonheur.

Et puis dans ce monde dual, le jour où vous et votre clientèle basculerez à nouveau dans la passion du pain, vous aurez, dès ce moment, le privilège de ne plus lutter contre vos concurrents sur le prix, mais évidemment sur le savoir-faire où vous excellerez à nouveau.

Je dois terminer cette chronique par un élément modérateur. Je sais que des boulangers affiliés à la fédération ont déjà cette philosophie et cet art de vivre. Pour ceux-là, mes propos seront juste un encouragement à continuer dans la voie qu'ils se sont tracée.

J'ai reçu un courrier d'un boulanger malmédien (il se reconnaîtra) qui publie ses recherches, en France et sur Internet, dans le domaine des levures et de leur bon usage dans la fabrication du pain. Cela m'a conforté dans l'idée que le métier ne pourrait jamais disparaître tant qu'il existera des hommes de qualité qu'il l'ont choisi et qui l'aime viscéralement.

Novembre 2002
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LE PAIN PERDU

Un proverbe de paysans suédois dit : « Qui laboure son champ la nuit, perd un pain à chaque sillon ». Je pense avec raison que s’il s’adapte également à tout artisan, il est particulièrement significatif pour le boulanger.

Aujourd’hui, tenter d’exercer ce métier, aussi connu que le monde, mais sans l’éclairage nouveau qu’apporte le marketing, revient à ce travail nocturne où se perd le bénéfice qui permettra à l’entreprise de vivre. Le monde évolue sans cesse, tant au niveau de la production que de la consommation. Fabriquer et améliorer les produits est certes une tâche respectable et honorable pour l’artisan, mais à quoi bon s’ils ne sont plus appréciés par le consommateur !

Or nous assistons à une lutte permanente entre l’artisanat et l’industrialisation et il est certain que les moyens considérables mis à la disposition de l’industriel rendent le combat inégal pour l’artisan. Celui-ci devrait pourtant profiter de la différence énorme existant entre un produit « standard » et un produit « personnalisé ». Pourquoi ne joue-t-elle pas ?

Dans la vie, tout être humain est naturellement résistant au changement et c’est là que se joue tout l’avenir d’un produit, surtout s’il est de consommation courante.

Lorsque les premiers produits fabriqués industriellement apparurent, la mise à disposition de ceux-ci d’une qualité satisfaisante et à un prix avantageux, ouvrit une brèche dans la fidélité instinctive du client. 

Ensuite, la publicité et la facilité d’achat d’un ensemble d’aliments dans une même surface augmentèrent encore l’impact.

Enfin l’écroulement de la résistance au changement par une modification du goût et des habitudes de consommation nous menèrent à la situation actuelle. Tous les pains semblaient avoir la même saveur. Les céréales, biscottes et friandises détournèrent une partie des amateurs de pain sous prétexte de régimes alimentaire soi-disant plus riches, ou plus pauvres, ou plus équilibrés ou plus sains.

Dans ce processus, les artisans résistèrent avec des fortunes diverses. Aujourd’hui, les statistiques montrent l’ampleur du dégât. Comment convaincre que la cuisine d’un grand chef est un véritable art à des consommateurs qui ne peuvent l’apprécier puisque dès leur plus jeune âge, ils ont été gavés de hamburgers ? Comment faire partager le plaisir d’une bonne bouteille de vin à d’autres qui n’ont jamais bu que des limonades souvent d’origine américaines ? Même un jus de fruit frais leur semblera insipide ! 

Tout le drame est là. L’éducation et l’habitude jouent un rôle primordial dans la consommation et dans l’art de vivre de l’individu. Le plaisir est avant tout situé dans la reconnaissance de plaisir ayant déjà existé. Il est donc naïf de penser qu’il suffit de faire un bon pain pour le vendre. Encore faut-il trouver celui qui le trouvera bon. 

Tout ceci nous ramène à l’éclairage marketing dont je fais mention en début d’article. Il ne suffit plus d’être un bon boulanger ou pâtissier pour résister. Il faut s’intéresser autant au client qu’au produit. Théodor Levitt, le véritable inventeur du marketing disait « une firme ne vend pas ses produits, elle achète ses clients ».

Et cette constatation nous mène à un véritable changement dans la manière de travailler. Si la recherche de la qualité et de la saveur doit être poursuivie, une véritable communication doit se créer vers le client. D’abord, et cela risque d’être long, il faut rééduquer ses perceptions culturelles et gustatives.

Acheter un pain, c’est acquérir les valeurs de celui qui l’a pétri. Pour cela, il faut le voir, le rencontrer, parler avec lui, comprendre les subtilités de sa fabrication. Le client est prêt à cela mais, hélas trop souvent, pas le boulanger ! Généralement, il se considère comme un ouvrier travaillant une matière pour répondre à une demande. Le fait qu’il soit indépendant lui donne certes l’obligation de réaliser des profits suffisants, mais il se considère comme victime du monde moderne et de ses nouvelles « mauvaises » habitudes dès que ses affaires ne marchent pas. 

Peut-être que notre société de consommation a conduit certains à croire que l’on n’exerce une profession que pour l’oublier le plus vite possible, qu’il plus sensé de chercher le bonheur dans les loisirs que dans le travail et que l’argent fait le bonheur.

Ce n’est pas l’esprit qui règne chez les vrais artisans, aussi je les invite pour regagner rapidement un avenir réel à leur entreprise à mettre autant de foi et de passion dans les contacts avec leur clientèle que dans leur savoir-faire professionnel.

Qu’ils ouvrent la porte de leur fournil, qu’ils laissent s’en échapper cette odeur à nulle autre pareille, qu’ils expliquent que leur pain est un savant mélange de doigté, mais également de farine et de levure non achetées sur une comparaison mercantile de prix mais bien sur une sélection de qualités indispensables pour réussir leur œuvre.

Qu’ils aillent dans les écoles, qu’ils offrent des échantillons aux enfants et de recettes aux mères, qu’ils expliquent pourquoi ils sont les meilleurs producteurs de pain. 

En tant que Commandeur de la Commanderie des Costes du Rhône, j’ai toujours été admiratif de ces viticulteurs qui vous recevaient dans leur vignoble, expliquaient leur vinification, vous faisaient visiter leur cave et déguster, avec commentaires, leur vin. Comment ne pas avoir leur présence et celle de leur terroir en tête une fois rentré à la maison devant la merveilleuse bouteille débouchée ? 

C’est cette même sensation que je voudrais chez les consommateurs (avisés) de pain. J’aime le pain blanc de Jules, mais pour le fromage blanc frais le pain de campagne de Joseph est mieux adapté.

Dans la confection d’une tartine, le pain intervient dans le goût autant que le beurre, la confiture ou la charcuterie. C’est une vérité première que vos clients ont oubliée. Rappelez-leur autant de fois que nécessaire et ainsi vous arriverez à les fidéliser et à les transformer en ambassadeurs actifs de votre produit.

Vous avez un merveilleux métier, vous l’exercez avec amour, faites-le savoir. Cela fera une différence essentielle avec la caissière d’une supérette.
Octobre 2002
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LE MARKETING EST-IL NÉCESSAIRE AUX ARTISANS BOULANGERS ?

Pendant quelques années, à la demande de Charles François dont je salue la mémoire, j'ai assumé une rubrique de marketing à destination des boulangers et pâtissiers dans le Moniteur Francophone des Boulangers-Pâtissiers. Ma spécialisation et mon amour de l'artisan me poussait à éveiller ces hommes, souvent seuls par définition, aux techniques modernes de gestion commerciale de leur entreprise.

J'ai donné dans cette chronique quelques conseils, parfois je me suis même emporté contre certains membres de la profession que je voyais partir vers une production automatisée sans savoir-faire particulier mais aussi sans moyens réels de résister aux grands groupes industriels dont ils devenaient ainsi les concurrents.

De fournisseur unique d'une région, le boulanger se retrouve face à une multiple concurrence les grandes surfaces, les dépôts de pain, les terminaux de cuisson de pâtons surgelés, quand ce n'est pas face à la ménagère qui fabrique elle-même son pain. Cette évolution du marché doit entraîner une nécessaire mutation vers une segmentation du marché et le choix d'une distribution basée sur la qualité plutôt que sur la quantité. Il n'est plus possible de conserver le gâteau entier pour soi, il faut choisir la part peut-être la moins grande mais la plus goûteuse.

Suite au changement du mode de consommation, un tiers des boulangeries ont disparu du paysage français ces dernières années. Les prix pratiqués n'ont pas été l'unique cause de ce désastre. Une détérioration des qualités gustatives a fait que la consommation du pain a chuté de manière drastique. Habituer le consommateur à manger des aliments sans saveur lui enlève, petit à petit, l'envie de consommer. Le même phénomène est en train de se produire pour les producteurs de fruits. Incapable de résister à la demande des grands distributeurs, ils mettent sur le marché de plus en plus des produits de plus en plus verts, dont le goût est tué par la chaîne du froid et les pesticides employés. Moralité, la demande est en constante diminution.

Aujourd'hui, je reviens dans la revue pour animer la même chronique qui, je l'espère, intéressera à nouveau les lecteurs. Les articles que je rédigerai seront plus d'humeurs que théoriques. C'était d'ailleurs le ton de ma dernière parution, " La mort de l'Artisan " en avril 2000 qui avait entraîné quelques réactions négatives. Je pense notamment aux reproches d'un formateur de l'IFPME de Verviers qui l'accusait d'être injuste pour les boulangers. Cela m'avait quelque peu écarté de la profession.

" Qui aime bien, châtie bien " dit un vieux dicton français et Dieu sait que j'y avais mis toutes mes pensées positives envers une profession où parfois, disais-je, " l'artisan se sert de plus en plus de son métier pour vivre, alors qu'il devrait vivre pour servir son métier ". J'étais loin de penser qu'il est anormal de vivre de son labeur, mais j'affirmais qu'il est partie intime de celui qui le pratique et que c'est cela qui donnait un sens à la vie professionnelle et des chances réelles de réussite.

Les vrais artisans, ceux qui croient encore en leur valeur, ont bien compris le sens de mon intervention et j'en tire la preuve des quelques faits suivants. L'article en question a été repris, comme éditorial, sur Pain.Com (www.opain.com), site Internet qui s'est vu décerné l'Award du Net 2002 et le Golden Web Award 2002-2003, deux récompenses importantes.Le site a dépassé les 12.000 visites en 6 mois et son propriétaire annonce dans la lettre d'information " Trop vrai. Trop de félicitations. L'éditorial, la mort de l'artisan, écrit par René G. Thirion remporte un vif succès, il va donc rester encore en ligne ".

Depuis janvier 2000, j'ai regroupé l'ensemble de mes chroniques et de mes conférences sur le PAIN magique, méthode de stratégie marketing à destination des boulangers pâtissiers parues en son temps dans le Moniteur Francophone, sur mon site personnel (www.renethirion.org). Elle a été consultée près de 2.500 fois. J'ai également autorisé son utilisation dans des instituts techniques en France et au Canada pour l'usage des étudiants. Tout cela m'a conforté dans l'idée que mes connaissances pouvaient encore aider les professionnels de la boulangerie et les encouragements de Marianne Borckmans m'ont définitivement convaincu de reprendre ma place au sein de votre revue professionnelle.

J'organise un séminaire sur la création de l'entreprise et son développement au salon Initiatives à Liège, le 24 octobre 2000. J'ai donc cherché une citation qui pourrait servir d'appui à celle-ci. Je l'ai trouvée chez un penseur grec du 3ème siècle avant Jésus-Christ.

Comme quoi les grandes pensées ne sont jamais démodées et montrent parfois le chemin de l'avenir. Je vous la livre, en avant-première, comme sujet de réflexion : " De petites occasions sont souvent à l'origine des grandes entreprises " - Démosthène.

Théodor Levitt, inventeur du marketing, a parlé de la myopie marketing. Trop près des problèmes de l'entreprise, son dirigeant ne peut pas les voir distinctement. Sachez qu'en témoin extérieur, j'essaierai d'attirer le plus souvent possible votre attention dans ces colonnes sur ces petites occasions qui feront, peut-être, une grande entreprise de votre vie.

septembre 2002
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LA PASSION DU MÉTIER

Je donne régulièrement cours de gestion commerciale dans les centres de formation permanente des classes moyennes de Verviers et de Liège. Aussi ai-je pris l’habitude d’essayer de comprendre les motivations de ces élèves qui sacrifient un grand nombre de leurs soirées dans le but d’accéder au patronat et d’ouvrir leur propre entreprise.

Elles sont diverses mais j’ai pu les classer en deux grandes catégories : Le désir de gagner leur vie d’une manière indépendante ou la réalisation d’une passion. Il va de soi que le nombre d’élèves à classer en première catégorie est beaucoup plus important que celui de la deuxième catégorie.

Chose tout à fait logique dans une société où toute l’éducation est orientée vers une profession lucrative et où la réussite se mesure à la hauteur des rentrées financières. De plus, le rétrécissement du marché de l’emploi oblige les plus courageux et les plus autonomes à forcer le destin en créant l’emploi qu’il ne trouve pas chez un patron. Leur choix est louable car il s’inscrit dans une citoyenneté active et le refus d’une démission face au destin. Mais combien de ces futurs commerçants réussiront-ils à passer le cap dangereux des trois années de survie commerciale. Combien d’entre eux appartiendront à la classe ruinée des malheureuses victimes de faillite, ayant juste réussi à thésauriser un amoncellement de dettes ?

Choisir un métier d’indépendant, c’est choisir le risque dans une société particulièrement cruelle. La dure bataille pour trouver une clientèle, la garder et l’augmenter ne peut être le fait d’un hasard. Le commerçant qui réussit est un commerçant intelligent, tenace et animé par la volonté farouche d’imposer son existence dans un monde concurrentiel sans pitié. Ce n’est pas pour rien que toutes les expressions des cours de vente ou de marketing s’apparentent à celles de l’art militaire. Bien sur, j’ai souvent tendance à croire que ces qualités qui aident fortement à la réussite se trouve dans ma deuxième catégorie d’étudiants, ceux qui ont une passion qu’ils veulent assouvir en se réalisant pleinement en elle. J’ai eu le privilège d’avoir comme élève une jeune femme, passionnée par le chocolat. Contrairement aux autres, elle ne me demandait pas de lui confirmer qu’elle gagnerait facilement beaucoup d’argent par des astuces commerciales mais bien si elle pourrait réussir à vivre pleinement son métier face aux grands concurrents industriels.

Dans l’attente de démarrer son activité, elle avait choisi d’être apprentie dans une maison renommée, emplie d’admiration pour le patron qui y exerçait ses talents. Elle savait qu’elle devrait se contenter d’un petit salaire pour acquérir le trésor qu’elle pressentait, la maîtrise d’un art qui lui fournirait non pas la fortune mais le plaisir de vivre et d’exister. Trop d’artisans sont devenus des boutiquiers, juste bons à relever le tiroir-caisse de leur magasin. Se lever tôt pour la cuisson est pénible, pétrir est une servitude et perdre quelques heures de loisirs est au-dessus de leurs forces. C’est normal lorsque tout ce que l’on fait est uniquement fait pour de l’argent.

Mais est-il alors anormal de voir ces vendeurs de « bouffe », comme le dirait Jean-Pierre Coffe, perdre une partie de plus en plus grande de clients attirés par une offre où la qualité est certes standard mais ou le rapport prix/qualité joue en faveur de la grande distribution et des groupes industriels. En réponse, le petit commerçant ne peut que proposer le rapport inverse qualité/prix pour se créer une clientèle fidèle et de bon rapport. Seuls ceux qui ont le savoir-faire et mais aussi le savoir-être de l’homme de métier ont une certitude. Qu’ils aient obtenu la réussite ou qu’ils aient connu l’échec ils auront vécu passionnément.

En conclusion, je voudrais exprimer un regret aux hommes politiques qui nous gouvernent. Beaucoup d’entre eux osent affirmer qu’ils sont convaincus que notre économie sera sauvée par les PME et les indépendants. Ils créent même des aides destinées à encourager les créations d’entreprise.

S’ils étaient logiques avec leurs affirmations ne devraient-ils pas empêcher une concurrence déséquilibrée entre les grands groupes industriels (mais je devrais dire financiers avec tous les moyens que cela leur donne) et les artisans-détaillants ?

De plus, ne devrait-on pas modifier le code commercial, en supprimant la qualité de personne physique au profit d’une nouvelle qualité morale pour petit commerçant ou artisan ?

Il est normal que de créer une entreprise offre des risques mais que ceux-ci soient limités à un montant engagé, libérant ainsi celui qui rate d’un fardeau inhumain et injuste.

Si cela était, il faudrait aussi que les banques revoient leurs positions dans l’acceptation d’un crédit. Combien de gérants de sprl ont dû, pour l’obtenir, signer comme caution solidaire en engageant leurs bien personnels. Dans ce cas, le principe de la personnalité morale est détourné, puisque celle-ci ne fixe pas un plafond à la somme engagée dans l’aventure et reporte tous les excédents de dette sur la personne physique.

janvier 2000
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LA MORT DE L’ARTISAN

De plus en plus, il m’arrive de changer de boulanger car plus j’avance moins j’ai de plaisir à pousser sa porte et à manger son pain.

Je me demande avec angoisse s’il y a encore des artisans amoureux de leur métier. Je sais que je vais entendre s’élever de nombreuses voix pour me dire que mes propos sont injustes et qu’il ne faut pas généraliser quelques sensations que j’ai éprouvées lors de mes derniers achats de mon pain quotidien.

Pourtant, j’ai eu le coup de grâce dernièrement. J’avais pris l’habitude le week-end d’aller chercher mes croissants, loin de mon domicile, chez un boulanger qui les réussissait merveilleusement bien. A mon goût, c’était certainement les meilleurs du monde. Lors de mon dernier achat, quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater qu’ils n’étaient pas frais et qu’un deuxième passage au four n’avait fait que leur donner un goût de brûlé en plus. J’avais déjà eu la même expérience avec le pain chez un autre boulanger de ma région.

Je sais que les charges professionnelles et que la fiscalité sont lourdes pour l’indépendant. Je sais également qu’il est dur de vendre à perte ou de jeter une production invendue. Je sais aussi que la tentation est forte de croire que le client ne verra ou ne dira rien. Mais qu’en est-il de l’image de l’artisan boulanger en général et de celle du pain en particulier ? A quoi servent les promotions du produit et du métier, si le plaisir du goût disparaît pour laisser place à une indifférence face au produit ?

De plus en plus, l’artisan se sert de son métier pour vivre, alors qu’il devrait vivre pour servir son métier. Fabriquer de ses mains avec amour et passion, porter toute son intelligence et son savoir dans une création personnelle et unique, faire passer l’art de faire avant le plaisir de thésauriser sont les lois essentielles de l’homme de métier.

A partir du moment où ses capacités sont utilisées dans le but unique de « gagner sa vie » , la tentation est permanente d’abandonner tout risque financier et social. Il ne lui reste alors que la solution de s’intégrer dans un système industriel où un capital anonyme gère un outil de production d’où disparaît toute personnalité au profit d’une fabrication standard mécanisée et où l’homme n’est que le servant de la machine et à ses procédures. C’est la mort de l’artisan !

Mes lecteurs savent combien j’ai toujours défendu l’homme et son métier face à la machine industrielle et c’est pourquoi je parle aussi durement. Il est temps de réagir pour ceux qui croient encore en leur qualités et leur qualification. Souvent dans ces colonnes, j’ai rappelé que la seule défense contre les conglomérats financiers était la différentiation. Donner un service et une qualité constante, éduquer le goût des consommateurs, les conseiller dans leur consommation, innover dans sa manière d’être et surprendre ainsi ses clients les plus fidèles, en une phrase, créer une véritable histoire d’amour entre lui et l’artisan sont les pistes à exploiter et surexploiter.

Revenez au bon goût du pain, avec des farines de qualité, pétri par des mains habiles qu’aucune machine ne pourra jamais remplacer, cuit sous une surveillance de tous les moments et manipulé avec amour. Ne vous y trompez pas. Vous êtes bien en train de lire un article de marketing car tout ce qui est écrit ci-dessus est le profond désir, réel ou latent, de bon nombre de consommateurs. Essayer de vous replonger dans l’état d’esprit que vous aviez lorsque vous avez débuté votre activité pour retrouver l’espoir qui vous a permis de tenter l’aventure et pour la recommencer à nouveau. 

Avril 2000
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